Bonjour Florent Lucéa.
Merci de bien vouloir te présenter en quelques lignes.
Bonjour, je suis Florent Lucéa, poète-illustrateur, Artiste-Auteur, directeur de la Collection Encre Sèche (orientée BD, mangas et romans graphiques) des Éditions Ex-Aequo (je suis aussi illustrateur et auteur chez cette maison d’édition militante à compte d’éditeur en jeunesse et en théâtre pour le moment), chroniqueur BD pour Litzic.fr (j’entame ma deuxième année en septembre) et je travaille aussi dans l’Éducation Nationale. Je vis à Pessac depuis 2003. Je suis périgourdin par ma mère et martiniquais par mon père. J’ai un demi-frère aîné et une sœur cadette. J’ai vécu deux ans en Guadeloupe, à la fin des années 90. J’aime la nature, les arts pluriels, la lecture, l’écriture et les promenades pédestres ressourçant l’esprit.
Depuis combien de temps es-tu devenu professionnel ? Est ce que tu dessinais auparavant ? As-tu fait des études artistiques ? Comment ce projet professionnel est-il né ? Pourquoi avoir choisi ce genre pictural ? Quels obstacles as-tu rencontrés ? Peux-tu nous expliquer comment fonctionne ton activité ?
Je suis professionnel depuis 2017, inscrit à la Maison des Artistes, et autoentrepreneur pour mes ateliers d’écriture depuis 2016. Aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai toujours dessiné. Beaucoup de monstres, de créatures étranges, de guerrières et d’animaux. J’ai suivi des études littéraires et j’ai été Auditeur Libre aux Beaux-Arts de Bordeaux, mais je n’ai pas de diplôme en arts. Je suis devenu illustrateur de mes écrits tout d’abord avant de collaborer avec d’autres créatifs. À l’origine, je réalisais des tableaux et des volumes en matières recyclées, puis je me suis de plus en plus investi dans le monde de l’illustration. Je me suis tourné vers ce moyen d’expression, parce que j’adore donner vie à des mondes littéraires nés dans ma tête ou dans celle d’autres personnes, et puis mes tableaux ont une patte d’illustrateur plus que de peintre. Outre l’obstacle administratif avec tous les papiers, j’ai rencontré des soucis de méconnaissance du secteur et de moi-même, mais j’ai pallié tous ces problèmes en nourrissant ma curiosité, ma soif d’apprendre et de m’améliorer et j’ai développé ma propre signature. Mon activité regroupe plusieurs facettes d’un même prisme. Je travaille sur mes projets personnels, je collabore avec d’autres auteures ou auteurs, je réalise une couverture ou tout autre support visuel pour autrui. J’ai par exemple travaillé sur un booktrailer voilà peu et sur un clip musical l’année dernière qui devrait sortir sous peu. Les projets sont variés et s’enchaînent au hasard des rencontres et des opportunités.
Comment se passe une journée de ton activité ? Quel matériel utilises-tu ? Comment trouves-tu l’inspiration ?
Aucune journée ne ressemble à une autre. J’essaie de me laisser porter pour mon envie du jour, je dresse une liste des tâches que j’aimerais réaliser ou des projets à avancer absolument, car la deadline est proche, et je m’attèle au travail en ne perdant pas de vue le plaisir, la maîtrise du geste et la recherche. J’utilise tous les médiums possibles : stylos billes, feutres à alcool, feutres à pigments, feutres noirs de différentes tailles de pointe, crayons à papier, gomme (de moins en moins, car j’essaie de « rebondir », lorsqu’un trait me pose problème).
Je travaille aussi avec l’outil informatique pour créer des illustrations digitales. Je mêle parfois le traditionnel et le DAO (Dessin Assisté par Ordinateur). Concernant l’inspiration, elle peut venir à tout moment du jour et de la nuit, notamment au moment du coucher. Je pense à quelque chose que j’ai vu, lu ou ressenti dans la journée et j’ai une idée qui germe. Je m’inspire énormément de lectures, de visites dans des musées, de discussions, de tout ce qui m’entoure. Tout ceci nourrit ma créativité. Je suis curieux de tout, de nouvelles pratiques, de nouveaux outils, et je ne cesse de faire des recherches graphiques pour progresser et ne pas me cantonner à un seul style. J’aime varier mes paramètres créatifs afin de ne pas tomber dans une routine qui me déplairait à la longue. J’aime me surprendre et étonner celles et ceux qui regardent mon travail.
Peux-tu nous parler de quelques une de tes réalisations ? Est ce que tu en préfères certaines ? Qu’envisages-tu pour l’avenir ? Tu te vois où dans cinq ans ?
Toutes mes réalisations m’ont apporté quelque chose, elles m’ont fait grandir et mûrir en tant que créatif, et j’essaie toujours de donner le meilleur de moi-même dans chaque projet. J’ai réalisé des illustrations pour deux projets graphiques aux Éditions Ex-Aequo, tous deux collaboratifs. Caya et Kaki à l’école (coécrit avec Modvareil) a ouvert la voie. Dessiner deux petits bouledogues farceurs a été un réel bonheur, car j’adore dessiner des animaux depuis toujours. Allo la Terre m’a permis de signer un fascicule de jeux pour prolonger la lecture des enfants et compléter le texte d’Antoinette Hontang. J’ai aussi autoédité chez BoD un album jeunesse dont je signe les illustrations : La bidulothèque, une collaboration avec Stéphanie Soban, rencontrée sur un réseau social.
J’ai dû pour ce projet m’atteler à la création d’enfants et de tout un univers original, né de l’imagination de Stéphanie. Je suis très fier de ces trois collaborations, car elles m’ont prouvé que mon univers pouvait dialoguer avec autrui. On dit souvent que les créatifs sont seuls devant leur feuille, donc collaborer régulièrement ouvre mon champ des possibles et m’enrichit. Quand je me projette dans l’avenir, j’ai envie de poursuivre mes chemins de traverse, de rencontrer d’autres personnes formidables et de développer mon réseau et mes univers en toute quiétude, en me laissant porter par le courant. Dans cinq ans, j’espère encore être surpris par mes créations et j’aimerais avoir contribué à faire découvrir d’autres auteures et auteurs et d’autres illustratrices et illustrateurs, notamment à travers ma collection et mes chroniques. J’essaie de ne pas me mettre de pression. J’ai bien dit, j’essaie.
Aurais-tu quelques anecdotes liées à ton métier ? Quels sont tes rapports avec les différents acteurs de l’art ? Éditeurs, galerie, marchands d’art…
En matière d’anecdotes, je pense à une mauvaise expérience en matière de collaboration. C’était pour un livre jeunesse. J’ai fait confiance et j’y ai laissé quelques plumes par manque de connaissance des précautions à prendre. Il peut arriver que le duo ne fonctionne pas. C’est déstabilisant lorsque l’on n’a pas l’habitude, mais les petits couacs permettent de se recentrer et de mieux défendre ce que l’on attend d’une collaboration par la suite. J’apprécie les relations donnant-donnant.
Travailler avec une autre personne est une aventure riche et complexe, mais j’ai persévéré, car je savais que cela m’apporterait quelque chose. L’une de mes dernières collaborations s’est fait avec un auteur incroyable (Lancelot Sablon) qui m’a laissé carte blanche pour l’illustration d’un projet de nouvelle pour la revue de l’étrange L’Ampoule des Éditions de l’Abat-Jour. On a juste discuté du pitch de la nouvelle, et je me suis mis au travail.
Par la suite, il m’a invité à coécrire la nouvelle avec lui. Un jeu de pingpong s’est installé entre nous. Nous rebondissions sur les idées de l’autre et nous lancions dans des débats fertiles sur les orientations à faire ou à ne pas faire. Même si nous n’avons pas été sélectionnés par la suite, cette collaboration nous a fait un bien fou. Du côté des professionnels, j’ai une relation privilégiée avec mon éditrice Laurence Schwalm (Éditions Ex-Aequo), avec mes deux directrices de collection (Suzanne Max pour les collections jeunesse Saute-Mouton et Passerelle et Claire Poirson pour la Collection Entr’Actes), ainsi que d’ailleurs avec les autres directeurs de collections (je suis ravi d’avoir rejoint l’équipe avec la Collection Encre Sèche), avec la communauty manager Catherine Moisand et toutes les auteures/auteurs d’Ex-Aequo qui ont intégré la Ex-Aequo Family.
Je peux vous dire que ces relations m’ont réconcilié avec le monde de l’édition après quelques déconvenues, notamment avec des charlatans qui vous assomment de mots bien tournés et se moquent de vous. Pour ce qui est des galeries, j’ai été présent dans le catalogue d’une carterie d’art bordelaise durant plus d’un an. Cette expérience a été enrichissante, puisqu’elle a développé mon envie de réaliser des cartes artistiques. J’ai approché un autre lieu pour proposer des petits formats. J’ai aussi frappé aux portes de galeries, mais mon style atypique a déstabilisé ces professionnels.
Quel amateur d’art es-tu ? As-tu un peintre ou un illustrateur(trice) préféré(e), un tableau, une BD ?
Je suis un amateur d’arts pluriels : je me nourris de peinture, de musique, de dessin, de sculpture, de BD, de mangas, de photographie, d’expositions sur les pharaons, les Aborigènes ou la grotte de Lascaux, de danse, de comédies musicales. J’aime des styles picturaux très divers comme le mouvement dada, l’impressionnisme, le symbolisme. J’adore par exemple Gustave Moreau, Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle, Jean-Michel Basquiat, Séraphine, Eugène Delacroix, Kandinsky, l’art aborigène et africain. Par exemple, la Mort de Sardanapale (Delacroix) ou Jupiter et Sémélé (Moreau) me bouleversent énormément. En matière d’illustrations et de BD, j’apprécie le travail de Marie Dubois, Zainab Fasiki, Pénélope Bagieu, Quentin Blake ou Tomi Ungerer. Je suis aussi fan des comics avec les X-Men, car j’aimais ces histoires de mutants luttant pour leur survie. Je suis tombé sous le charme de La Caste des Métabarons, du trait de Juan Gimenes et la plume d’Alejandro Jodorowsky.
Qu’est-ce que tu aimes ou détestes dans ton métier… ?
J’aime dessiner, tenir un crayon, toucher du papier et pratiquer presque tous les jours afin de renforcer mes acquis et de développer de nouvelles pistes. Ce que je déteste, c’est que certaines personnes pensent que ce n’est pas un métier ou qu’il faut gagner des sommes folles pour que ce soit considéré comme un métier. Bien sûr, c’est une passion aussi, mais pas que. Il faut être exigeant avec soi-même pour arriver à ses fins, sans se renier et sans se rendre malade non plus. Il ne faut pas être trop perfectionniste et apprendre à lâcher prise pour laisser ses « bébés » partir vers d’autres yeux et d’autres foyers.
Ce que je déteste aussi, ce sont les gens qui essaient de vous mettre dans une case pour se rassurer, et comme mon univers est très varié, ils n’y parviennent pas et se demandent si je ne me disperse pas dans tous les sens. Non, je ne me cherche pas, non, je ne suis pas perdu. Je suis juste polymorphe, j’aime adopter différents styles pour surprendre, interpeler et sans doute déranger, pas par provocation, mais pour amener à une réflexion.
Quelle est ton actualité du moment ?
Je travaille sur un roman jeunesse et une pièce de théâtre qui devraient être publiés sous peu aux Éditions Ex-Aequo, ma maison d’édition-bastion, refuge devrais-je dire. J’ai aussi entamé une nouvelle collaboration avec un auteur pour un album jeunesse qui met en scène des animaux (Vous allez me dire encore ! Mais je n’ai pas fait exprès, j’ai connu l’auteur grâce à Claire Poirson). Le projet n’en est qu’au début, mais l’auteur me laisse toute latitude pour développer le côté graphique de son univers. C’est très appréciable, car quand les collaborations débutent comme ça, je sens que l’univers du livre sera la jonction entre nos deux sensibilités. Je l’en remercie donc vivement ! J’exposerai début septembre dans une boutique de Bordeaux, le Psyché d’Holly, située rue Saint-James, lors de l’événement Qu’ARTiers afin de présenter des tableaux, des dessins et des volumes.
Ça te dit de faire un petit jeu avec nous ? Un petit portrait chinois ?
A : Si tu étais une créature laquelle serais-tu ? Un dragon à plusieurs têtes crachant du feu, de la glace, de la brume, etc.
B : Si tu étais un animal ? Une panthère noire.
C : Un plat ? Des acras.
D : Un groupe, chanteur(se), musicien(ne)… préféré(e) ? Queen.
E : Une couleur ? Le rouge.
F : Si tu étais un roman ? Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley.
G : Si tu étais un tableau ? Salomé tatouée de Gustave Moreau.
I : Si tu étais une BD ? Ces jours qui disparaissent de Timothée Le Boucher.
Si tu n’avais pas été illustrateur qu’aurais-tu aimé faire ?
Vétérinaire était mon rêve d’enfant, car j’aime les animaux et je regardais les documentaires animaliers, jeune. J’adore d’ailleurs toujours découvrir des espèces insolites comme le tardigrade ou le blob (qui n’appartient à aucun ordre d’ailleurs, mais je vais éviter de trop digresser). Je rêve encore de travailler dans le domaine de l’animation, du cinéma ou du jeu vidéo afin de donner une autre dimension à mes illustrations.
Aurais-tu un petit mot pour les autres artistes ?
Pour prolonger ma précédente réponse, je dirais aux autres artistes de ne pas cesser de rêver, de travailler au gré de leurs envies, d’être ouverts aux rencontres, aux autres formes d’arts et de s’entourer de personnes positives. Nous sommes toustes des créatifs sensitifs, et si nous avons choisi ces métiers, c’est sans aucun doute pour enchanter un monde bien terne parfois, résister à toute forme d’obscurantisme, donner la voix à ceux qui la perdent, défendre ce qui nous anime et provoquer des émotions négatives ou positives chez celles et ceux qui sont confrontés à nos mondes fantasmagoriques. Il faut croire en soi et rester quoiqu’il arrive sincère en toute circonstance. Je conclurais en leur disant que je suis ravi de faire partie de leur clan et combien les univers de certaines et certains d’entre elles/eux m’enrichissent, car j’aime découvrir des mondes plus ou moins éloignés des miens.
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Merci Florent d’avoir joué le jeu !
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